À l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, qui coïncide avec le 16 octobre de chaque année, M. Abdelhak Laiti, Représentant adjoint de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Maroc revient sur le droit aux aliments, notamment durant les périodes de catastrophes naturelles, devenues fréquentes ces dernières décennies et face aux multitudes de conflits géopolitiques.
Dans une interview accordée à la MAP, M. Laiti met l’accent sur les opportunités qu’offre l’agriculture durable en matière de sécurité alimentaire mondiale.
1- Le 16 octobre de chaque année, la communauté mondiale célèbre la Journée mondiale de l’alimentation, qui constitue une occasion pour renforcer la sensibilisation et promouvoir l’action en faveur des personnes souffrant de la faim dans le monde. À votre avis, comment peut-on aider à bien nourrir la planète ? Le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde ne cesse d’augmenter en raison des multiples crises que nous observons ces dernières décennies, notamment climatiques, pandémiques et géopolitiques. Face à ces défis, les systèmes alimentaires actuels ont démontré leur limite et devraient être transformés pour les rendre plus productifs, inclusifs, intégrés et durables et ne laisser personne de côté.
Pour garantir la nourriture à environ 9 milliards de personnes à l’horizon 2050, il faut produire plus avec peu de ressources naturelles, ce qui signifie améliorer la production et la productivité des aliments de manière saine, en utilisant des intrants et des pratiques innovantes et respectueuses de l’environnement, de la santé des humains, des plantes et des animaux dans le cadre de l’approche “une seule santé/One Health”. Cela peut être appuyé par des politiques gouvernementales à travers des orientations et des aides aux agriculteurs pour les encourager à la production durable tout en réduisant au maximum les pertes en amont et post-récolte et le gaspillage au niveau des chaînes de distribution et chez les consommateurs. Mais également par des sessions de sensibilisation des consommateurs sur les choix alimentaires durables, les produits de saison, l’agroécologie et l’agriculture biologique.
Il s’agit également d’aider au développement et à la promotion de l’agriculture urbaine et péri-urbaine, à l’instar de ce qui se passe actuellement dans plusieurs pays pour augmenter la production alimentaire. L’introduction de nouvelles variétés résilientes et à court cycle est une solution pour une production immédiate d’aliments.
2- “Le droit aux aliments au service d’une vie et d’un avenir meilleurs” est le thème choisi pour cette célébration, selon vous, comment peut-on assurer ce droit lors de conflits ou pendant des périodes de catastrophes naturelles ? La FAO depuis sa création travaille avec ses pays membres pour garantir le droit d’accès à l’alimentation et surtout à des aliments sains. Toutefois, la garantie de ce droit devient souvent difficile à réaliser durant les périodes de catastrophes naturelles, devenues fréquentes ces dernières décennies, et face aux multitudes de conflits géopolitiques. Pour surmonter ces difficultés et contraintes, plusieurs actions et mesures peuvent être engagées :
– Mise en place de systèmes d’alerte rapide sur les probabilités d’occurrences des catastrophes naturelles, notamment climatiques, et des alertes sur la réduction des niveaux de récoltes dans les pays producteurs et les risques de famines.
– Renforcer la coordination internationale par la création d’alliances entre les pays, les organisations humanitaires et les Organisations de la société civile afin d’assurer une réponse rapide et efficace en réfléchissant à la construction de stocks et de réserves alimentaires stratégiques.
– Concevoir et engager des programmes de résilience appuyés par des campagnes de sensibilisation et de formation des communautés sur les bonnes pratiques et les meilleures techniques agricoles durables.
3 – Comment l’agriculture durable peut-elle contribuer à la sécurité alimentaire mondiale ? Comme introduit plus-haut, la transformation des systèmes alimentaires actuels est devenue une nécessité pour garantir la sécurité alimentaire mondiale et préserver les ressources naturelles productives pour les générations futures. L’agriculture peut être durable quand elle intègre les trois dimensions de la durabilité, à savoir économique, sociale et environnementale.
L’agriculture durable est celle qui applique les principes du développement durable tels que définis par la communauté internationale à Rio de Janeiro en juin 1992. Elle doit assurer une production pérenne d’aliments recherchés par les populations, tout en respectant les limites écologiques, économiques et sociales susceptibles de maintenir cette production dans le temps. C’est aussi une agriculture multifonctionnelle. Plus précisément, l’agriculture durable joue un rôle crucial dans la sécurité alimentaire de plusieurs manières : – Préservation des sols et de l’eau à travers les bonnes pratiques comme le semis direct, la culture de couverture, le compostage et la réduction des produits chimiques préservent la santé des sols et l’eau, ce qui est essentiel pour une production alimentaire à long terme.
– Sauvegarde de la biodiversité via la diversification des cultures qui peut améliorer la résilience face aux maladies et aux conditions climatiques extrêmes, réduisant ainsi les risques des pertes de récolte.
– Réduction des gaz à effet de serre moyennant l’utilisation des méthodes de culture qui nécessitent moins d’engrais chimiques et de combustibles fossiles, ce qui permet à l’agriculture durable de contribuer à la lutte contre le changement climatique.
4- Comment peut-on gérer les périodes de stress hydrique pour assurer l’alimentation de la population ? Comme conséquence au changement climatique, nous observons ces dernières décennies des phénomènes extrêmes en relation avec les ressources en eau, notamment des épisodes fréquents de sécheresses ou des inondations dévastatrices. Ces phénomènes climatiques ont des impacts directs sur les moyens de subsistances des populations et la sécurité alimentaire de millions de personnes dans le monde. Pour garantir la production et l’approvisionnement alimentaire dans ce contexte, plusieurs interventions doivent être entreprises et de manière intégrée : – Mise en place de systèmes d’irrigation efficaces à travers l’introduction et l’adoption de techniques et technologies modernes et économes en eau, garantissant une meilleure productivité hydrique et une meilleure efficience et efficacité de son application à la parcelle. Ceci ne peut aboutir à de bons résultats en absence d’un service de conseil à l’irrigation bien performant. Plusieurs solutions digitales ont démontré leurs atouts en termes de planification et pilotage de la distribution de l’eau. – Identification et introduction de cultures adaptées via la promotion de la recherche et la sélection de variétés de plantes qui nécessitent moins d’eau ou qui sont plus tolérantes à la sécheresse et éventuellement à courts cycles de production.
– Gouvernance et concertations inter-institutionnelles en matière d’affectation des ressources en eau rares vers des systèmes culturaux qui répondent aux besoins prioritaires des populations
– Promotion des meilleures pratiques de conservation de l’eau à la parcelle comme les techniques de paillage et les terrasses afin de réduire l’évaporation et d’améliorer la rétention d’eau dans le sol.
– Planification et gestion durable et intégrée des ressources en développant des politiques de gestion de ces ressources en eau qui devraient prendre en compte les besoins agricoles, domestiques et environnementaux, et inclure la participation des communautés locales.
5- Selon une étude menée par des chercheurs américains, canadiens et britanniques, les fruits et légumes que nous consommons aujourd’hui ont perdu de leur valeur nutritive ces cinquante dernières années, comment faire face à cela et pallier ce manque de nutriments ? Effectivement, la recherche et le progrès scientifiques ont permis d’atteindre des résultats inattendus en matière d’augmentation de la production et la productivité, tout en changeants les aspects internes et externes des fruits et légumes, notamment les calibres, l’apparence et les goûts.
Ces constats résultent de manipulations génétiques, de croisement entre variétés et espèces, de luttes contre les maladies et ravageurs à travers l’utilisation de plusieurs produits chimiques et industriels comme les pesticides, les fertilisants, les hormones, les antibiotiques et les biostimulants. En conséquence, certaines valeurs nutritives de ces produits ont été touchées, comme indiqué par les études citées dans la question.
Pour faire face à ce nouveau phénomène engendré par l’action anthropique, plusieurs interventions indicatives peuvent être envisagées :
– Multiplier le choix des aliments en consommant une grande diversité de fruits et légumes, y compris les anciennes variétés ou courantes, peut aider à garantir une meilleure nutrition.
– Promouvoir l’agriculture des variétés locales, l’agroécologie, la permaculture et l’agriculture biologique. À travers le soutien de ce genre de pratiques agricoles, nous pouvons garantir des eaux et des sols sains et une valeur nutritionnelle améliorée des cultures.
– Renforcer l’éducation nutritionnelle à travers des campagnes de formation et sensibilisation du grand public sur l’importance de l’alimentation équilibrée et des apports en micronutriments qui nécessitent des choix alimentaires plus éclairés
MAP