Naïma Elmcherqui ou “la dame de cœur”, une icône artistique et humaine transgénérationnelle

Publié il y a 1 jour

De 1977 avec le film “Noces de sang” de Souheil Ben Barka jusqu’à 2020 avec “L’Automne des Pommiers” de Mohamed Mouftakir, feue Naïma Elmcherqui a signé un parcours distingué, empreint de générosité et de profondeur artistiques.

Ses yeux, illuminés d’une étincelle particulière lorsqu’ils croisaient l’objectif d’une caméra, reflétaient son lien viscéral avec le septième art. Avec plus de quatre décennies de carrière, cette icône du cinéma marocain a été actrice et témoin d’étapes déterminantes de l’histoire du cinéma marocain.

Feue Naïma Elmcherqui a su forger, au fil des années, une personnalité à la fois populaire auprès des téléspectateurs marocains et unique sur le grand écran, notamment grâce à sa maîtrise parfaite du langage cinématographique et ses choix artistiques de grande qualité. Elle s’adaptait avec une finesse remarquable à la spécificité de chaque forme d’expression, que ce soit sur scène, à la télévision ou au cinéma.

Avec sa force tranquille, son regard pénétrant et sa voix empreinte de gravité, feue Naïma Elmcherqui, à qui le 21ème Festival international du film de Marrakech rendra un vibrant hommage, captivait par ses gestes qui transmettent au spectateur les émotions les plus subtiles et sincères, révélant une grande maîtrise du langage émotionnel.

Dans sa carrière cinématographique, bien que rarement en tête d’affiche, cette icône a marqué de son empreinte des œuvres majeures. Parmi ces films il y a “Noces de sang” de Souheil Ben Barka (1977), “Les Beaux Jours de Shéhérazade” de Mustapha Derkaoui (1982), “À la recherche du mari de ma femme” de Mohamed Abderrahman Tazi (1993), “Et après” de Mohamed Ismaïl (2002), “Kilikis, la cité des hiboux” de Azelarab Alaoui Lamhazri (2018) ou encore “L’Automne des Pommiers” de Mohamed Mouftakir (2020).

Le Prix du deuxième meilleur rôle féminin pour son rôle dans le film “À la recherche du mari de ma femme” et celui de la meilleure actrice au Festival international du film arabe de Malmö (sud de la Suède) pour son rôle dans le film “L’Automne des pommiers” représentent deux moments forts et une sorte d’hommage. Toutefois, ils ne reflètent pas toute l’étendue de l’héritage que feue Naïma Elmcherqui a légué aux futures générations d’artistes.

Par ailleurs, en tant qu’ambassadrice de bonne volonté auprès de l’UNICEF, elle incarnait un engagement citoyen profond, s’impliquant dans des initiatives de solidarité et œuvrant sans relâche pour défendre les droits des enfants.

“Générosité, humilité et créativité”, voilà comment le réalisateur Azlarab Alaoui Lamharzi aime résumer les valeurs incarnées par la défunte dans sa vie artistique et sociale. Il se souvient de l’hésitation qu’il a eu lorsqu’il lui proposa un rôle dans ” Kilikis… Le village des hiboux ” , qu’il considérait comme modeste comparé à son riche parcours artistique. Pourtant, l’accueil de la grande artiste fut immédiat: elle accepta dès qu’elle découvrit le sujet du film, qui aborde des pages sombres des violations graves des droits de l’homme.

La taille du rôle, limité à trois jours de tournage et quelques scènes, n’avait aucune importance pour elle, et même la question de la rémunération, elle l’avait écartée avec une grande dignité, confie-t-il. Il se remémore son sourire constant, malgré toutes les contraintes, ainsi que les ondes positives et l’ambiance spirituelle qu’elle diffusaient de son cœur maternel, offrant son aide pour résoudre des problèmes qui dépassaient son rôle.

Dans l’automne de sa longue carrière artistique, Azlarab s’étonnait toujours de la nervosité qui s’emparait d’elle avant de se présenter devant la caméra. Une nervosité indissociable d’un rare professionnalisme et d’une foi profonde en l’idée que le succès est une œuvre collective. Pour elle, la célébrité n’était qu’une illusion sans importance.

“Quand on travaille avec des acteurs habitués au théâtre et à la télévision, on fait face au défi d’adapter leur jeu aux spécificités de la caméra de cinéma. Le cinéma exige calme et intelligence, surtout pour les films d’auteur”, dit-il. Selon Alaoui Lamharzi, elle était l’une des rares à comprendre cet enjeu avec une maîtrise fascinante : dans son regard, ses mouvements précis et son interaction avec ses partenaires de scène. Elle insistait toujours pour proposer différentes interprétations du rôle.

Sa voix changeait radicalement au cinéma, d’une manière extraordinairement sensible, adaptée aux capteurs des micros qui captent même la respiration des acteurs. Elle modulait sa voix sur un registre particulier, ajoutant une présence exceptionnelle, et privilégiait le regard et les expressions faciales aux gestes et mouvements.

Le réalisateur Mohamed Mouftakir l’évoque avec émotion, la surnommant la “Dame de cœur”. Il replonge dans ses souvenirs, marqué par sa présence impressionnante sur les écrans marocains en noir et blanc. Mais, pour lui, elle rayonnait de mille feux par sa générosité dans le jeu et la profusion de sentiments qu’elle communiquait.

Cela l’inscrit dans la mémoire collective comme une référence d’amour, de chaleur et de lumière.

Pour Naïma, tout passait par le cœur. Au sommet de sa carrière, elle n’a pas hésité à exprimer au réalisateur son envie de travailler avec lui, après avoir vu son deuxième long-métrage ” L’orchestre des aveugles”.

“Sur le plateau, je n’avais pas l’impression de diriger une actrice, mais d’être captivé par une aura de grandeur. Toujours avec la nostalgie de ces souvenirs d’enfance du noir et blanc. Chaque plan, chaque mouvement, chaque dialogue, portait cette palette de couleurs qui débordait de l’écran pour imprégner chaque scène du film”, ajoute Mouftakir.

Naïma Elmcherqui était et restera présente, même dans son absence… à l’image des grands acteurs.

MAP

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